Enchantements
La plante s'appelle échinocactus, c'est une sphère d'un bleu vert, striée comme le globe par ses méridiens de côtes régulières qui sont toujours au nombre de treize. En lui-même il est beau à voir et même étonnant, il se reproduit sans peine dans nos plates-bandes. Parfois sur une côte il pousse au hasard une excroissance grosse comme un pois. Les cactées aux variétés innombrables sont des enfants du désert, qui ne ressemblent pas vraiment à des plantes, n'ayant branches ni feuilles, leur tige même peut ressembler à une tête réduite de végétal. Or le lendemain à l'endroit du bouton, encore plus imprévisible que lui, partait à l'horizontale une grande fleur en trompette, nacrée et rose, charnue au calice puis les pétales soudés étaient d'une pâte délicate et sans plis. Le soir elle mourut. Chaque matin plein d'espérance j'allai la visiter, un jour cinq fleurs en étaient jaillies à la fois, et sous son influence une autre plante grasse voisine se mit à fleurir, timidement, petite couronne de perles rouges.
Les peuples éteints que nous revendiquons pour ancêtres, afin d'assurer l'union du monde avec les invisibles, partageaient un repas avec les dieux. On voyait Déméter étendue sur un lit parmi ceux des convives, car on mangeait couché, elle se nourrissait en silence de la vapeur des viandes. Très richement vêtue de plissés savants, une couronne soudée au crâne, elle n'était qu'un grand bloc d'or et restait jusqu'au bout d'une immobilité stupide. C'est dans cette posture familière qu'on aimait l'avoir pour convive. Le reste du temps, dressée raide altière en son temple, elle tenait sa permanence.
Je trouve charmante l'idée du repas, bien que les dieux semblent avoir déjà soupé chez eux, mais ce tableau maladroit manque d'animation. Il entrouvre pourtant la porte d'un monde où nous ne sommes jamais entrés. J'aimerais décrire des choses inconnues, dont les rêves nocturnes et les hymnes d'Homère ou de Pindare suggèrent l'existence. Hélas la morne religion trinitaire n'a su inventer qu'un ciel où le bonheur sans fin serait de se presser, désincarnés, par millions autour du dieu, dans l'apathie et l'absence de tout changement, compression de foule d'où jaillirait sans cesse la même muette acclamation. On montre aussi, alignés en cohortes, les vierges les martyrs les évêques marquant le pas dans un pré devant la statue molle d'un agneau qui lève la patte.
De vrais miracles, tout humains, jaillirent pourtant sur l'épineuse théologie. Inspirés, revivifiant la morne habitude de croire, bouillonnant d'un feu mystique, des peintres et des musiciens allumèrent qui des veilleuses qui des torches. Et le plus grand de tous dont le nom était Bach a gonflé de sève et planté tous vifs des cantates qui si haut s'élèvent au dessus de notre ici très bas, qu'à son Ruisseau jamais tari les générations abreuvées se diront bienheureuses.
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