COSMOS Iconologie

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Dix Pietà de Giovanni Bellini

L'admirable peintre vénitien, de la génération précédant les grands maniéristes, Tiziano et Tintoretto, s'est attaché par dix fois à montrer ce qu'on appelle une Pietà ou un Homme de douleur, c'est à dire différentes monstration du Christ mort.

 

144O Pietà de Milan (Brera)

Pieta debout mezza figura, Jésus entre Marie qui lui donne un baiser et Jean qui se détourne.

 

 

Détail : le baiser de Marie

 

 

2  Bellini_Pieta 1440_Brera-dét.baiser  BD.jpg

 

1440   Musée Correr

Jésus demie figure émerge du tombeau  et se tient affaissé, bouche entrouverte, entre deux anges en pied qui sont petits, des angelots adolescents. Tous trois ont une auréole casquette.

Suspect : la signature est un A durérien enfermant un petit D, et la date se lit 1499.

 

 

5  Bellini_Pieta anges-1440_Correr  BD.jpg

C'est une "Pietà aux anges". Le Christ y est présenté sans pathos, en véritable corps mort; seul un petit trait rouge marque le coup de lance, tous les autres coups ont été effacés. Ce sont les deux petits anges, d'un type original, qui sont chargés d'exprimer la douleur.

 

 

1464-68 Venise, dans le polyptique de Saint Vincent Ferrer. (Etage supérieur, entre deux panneaux carrés semblables figurant une Annonciation en deux parties).

 

 

4  Bellini_pieta anges_1464-68 - Polyp. Vincent Ferrer-Venise  BD.jpg

 

 

Jésus un peu plus que demi, torse nu et linge sur les jambes, la tête affaissée, soutenu à chaque aisselle et chaque main par deux anges, celui de gauche affligé, l'autre profil noble nez grec le regarde. Il a les veines saillantes, des plis au ventre. Mais sa chevelure est sombre et extrêmement bouclée, comme frisée au fer, à l'instar des anges. Au fond un ciel noir à nuages gris teintés de bleu ou rose. Je trouve d'une extrême beauté cette façon de présenter et l'homme mort et les deux anges avec autant de réalisme et de noblesse à la fois.

 

 

1472  Palais des Doges

Pietà debout comme celle de Brera, Marie crie de douleur, Jean détourne la tête mais montre affliction.

On voit clairement ici l'origine de cette iconographie : c'est un Jésus qui sort à demi du tombeau, sans doute juste avant d'y être enseveli. Ici le Tombeau est figuré par un assez large rebord de pierre, un cierge y est accroché et brûle. Signé Johannes Bellinus.

 

 

3  Bellini_Pieta 1472_Palazzo Ducale  BD.jpg

 

 

1475 Pieta de Rimini

 

9  Bellini_Piéta-Rimini-ca1475  BD.jpg

 

Jésus en mezza figura est nettement assis sur un pierre plate qui tient lieu de bord du tombeau. Il s'affaisse de côté, un petit ange se devine (sa tête cachée derrière celle du Christ) il s'acrboute pour le redresser, la main sous son aisselle. Il y a en outre trois anges debout sur la même pierre, dix-douze ans, en jupettes, extraordinairement mignons avec leur frange de cheveux châtains – celui de droite est un peu frisé, il a l'air d'une fille. Leurs gambettes ont des postures charmantes, leurs minois variés sont exquis. La main droite du Christ repose sur la pierre, retournée, celle de gauche se laisse porter, énorme, sur celle de la fillette, dont l'autre main soutient le bras divin.

Une scène d'abandon délicieuse, qui, plus nettement encore que les autres du même type, montre bien qu'il ne s'agit pas, malgré le réalisme des figures, de quelque scène réelle, mais d'une sorte de vision commémorative de la mort accomplie du sauveur.Lui est mort comme un mort, aucune transfiguration; mais la gentillesse et la proximité physique des petits anges expriment le bonheur d'être sauvé. Je pense à un couplet de l'Hymne Crux Fidelis que l'on chante le Vendredi saint, en refrain du très long Pange lingua  :

 

Dulce lignum

dulces clavos

dulce pondus sustinet

 

Le mot dulcis signifie non pas doux au sens physique, mais chéri. Bois chéri, clous chéris, quel poids chéri il soutient.

 

 

1480  Christ mort entre deux anges.

 

1  Bellini_Christ-mort-deux-anges_1480  BD.jpg

 

Bien propre, seule la fente au côté, la couronne quasiment sans épines, il dort, beau et apaisé. Derrière lui une tenture rose, dont émergent deux anges jeunes qui ont passé la main pour faire semblant de le tenir, mais plutôt pour établir le contact. Celui de droite, les yeux levés au ciel avec quelque morbidezza a même passé le bras vers l'épaule du Christ. Sublime de sérénité. Je pense que c'est le merveilleux abandon du mort qui communique aux anges sa douceur.

 

 

Pietà de Bergamo, signé Johannes B. Sans date connue

 

7  Bellini_Pieta_Bergamo  BD.jpg

 

 

Pietà debout encore, Marie et Jean affligés. Elle la moue et les yeux tombant, lui sourcils froncés, bouche entrouverte comme quand on veut se retenir de pleurer. Jésus, les yeux clos, semble participer de leur chagrin. Une lueur s'échappe des trois têtes, auréole naissante.

Cela me semble assez archaïque; en outre, au bord supérieur très sombre du tableau, en lettres d'or les trois noms grecs sont désignés en abrégé, comme chez les byzantins : Mater Theou, Iesous Christos, Agios Joannes.

 

 

 

On trouve à Milan, sous le titre passe-partout de Imago pietatis (image de piété personnelle) le Christ émergeant du tombeau, tout seul.

 

 

Giovanni_Bellini_Imago_Pietatis Milan.jpg

 

On pense que la date se situe entre 1460 et 1469. Le paysage et les rochers bizarres annoncent le Saint Jérome de 1480 qui est aux Offices.

 

 

1505 Accademia

Pieta dans un paysage

 

6  Bellini_Pietà dans un paysage  BD.jpg

 

La seule piéta "classique" de Bellini, Jésus reposant sur les genoux de sa mère, est située dehors en plein paysage, qui dans le fond déroule un panorama de ville est fait de trois collines portant clochers etc. A gauche du premier plan, un arbre tronqué d'où sortent déjà des rejetons, et trois fleurs blanches de liseron. On peut rêver sur le symbolisme...

 

Ressemble étrangement à une Madone dans la prairie du même Bellini : assise, elle porte sur ses jambes écartée l'enfant nu endormi. Dans le paysage, bêtes et paysans.

 

Bellini_Madone dans la prairie  BD.jpg

 

 

Au Vatican, Pietà Pesaro.

 

8  Bellini_Pieta-Pesaro_Vatican  BD.jpg

 

Ici la composition est tout autre. Sur un fond de ciel bleu et nuages blancs, Jésus assis sur son rebord, mais ni lui ni les trois personnages ne sont vus de face. Il semble fort bien se tenir assis sans aide, relevant la tête mais les yeux clos; on dirait un malade un peu "sonné" avec trois visiteurs. Une sorte de moine chauve, les yeux fermés, a passé une main vers la hanche du Christ, mais ne le soutient pas vraiment, il a l'air de l'ausculter. A droite, un grand costaud barbu, vêtu à peu près comme un moine, tient un gobelet pour le faire boire s'il a soif. Marie-Madeleine, cheveux longs pas peignés et vêtue de bure à ras le cou, sans doute à genoux; elle a pleuré. Elle tient une main du divin amant entre les deux siennes, mais d'une manière dépourvue de tragique et de pathos; on dirait qu'elle va lui dire : "Là là, ça va passer !"

Cette composition de trois-quarts, qui impose la profondeur, n'a plus du tout le même propos que les autres vues de face. Ici on n'a plus une image de piété ou de contemplation mystique, mais une improbable scène. Jésus cependant, n'affichant qu'une blessure, sans couronne d'épines, ne peut appartenir à une scène réaliste de mise au tombeau. J'ai l'impression que Bellini a perdu de vue sa ligne de figuration. Ce n'est ni une piéta ni une piéta aux anges...

 

 

En tous cas, ce peintre que je vénère nous a transmis des images très remarquables sur un sujet sacré, alors qu'il est, ne l'oublions pas, l'auteur du célèbre Festin des dieux, mais celui-ci date de 1515, il a été repris et terminé par le Titien, qui n'est qu'accidentellement un peintre d'images saintes. La Renaissance commence.

 

 

 

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26/09/2016
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