Les fesses de Cupidon
1 - Parmesan
Francesco Mazzola, dit Parmigianino, ou Le Parmesan : "Amour taillant son arc"
Tout en travaillant - car il lui faut fabriquer lui-même son arc avant de s'en servir pendant toute l'histoire de l'humanité – il se détourne pour nous regarder (je déteste ça, chaque fois que je photographie quelqu'un, j'y ai droit.) Ce n'est pas de la curiosité, ni du clin d'œil satisfait : plutôt une invite à profiter de son corps dodu, de ses fesses admirables. Il rendrait pédéraste Don Juan.
Cependant la gauche de son corps très bien découpé sur le fond noir, est une merveilleuse arabesque : le buste et le bras gauche, une prouesse de dessin. Les copeaux se détachent du bois, tombent vers le pied gauche. Epoustouflant.
Avec minutie, la distribution du travail entre les deux mains : la droite empoigne le manche de corne de l'outil et peut monter ou descendre, elle guide; la main gauche passe les doigts sous la partie non tranchante de la lame, elle s'occupe de raboter en montant, comme le prouvent les copeaux qui ne sont pas encore détachés du bois. Si l'on regarde au-dessous, on voit qu'il a précédemment fait le même genre de travail avec l'autre moitié de l'arc, et sans doute y reviendra-t-il, ce n'est pas terminé.
Les jambes qui ont en charge le polygone de sustentation se partagent la charge du corps : la droite, genou verrouillé, pied à plat sur le carrelage, assure la stabilité, cependant que la gauche, fléchie, portant sur la pointe du pied, peut incliner si besoin est l'ensemble du corps et son poids utile pour l'effort des mains.
Comme dans maints autres tableaux, ce pied haussé a nécessité un support ferme, et comme il ne peut s'agir d'un ressaut du sol ou d'un caillou opportun, Amour s'est fait une petite estrade en empilant deux magnifiques livres blancs reliés. Je pense que Parmesan se réfère à l'idée répandue "Amor vincit omnia". Quand le Caravage traitera ce sujet dans "L'Amour vainqueur", il jettera à bas de son adolescent provocant les armes, les compas, la sphère terrestre, les instruments de musique ... mais pas de livre !
Voici le tableau entier, tel qu'on le voit à la Galerie des Offices.
Entre les jambes de notre éphèbe (triangle) tiennent presque entiers - si l'on omet la petite aile devant sa jambe - deux putti nettement plus jeunes que lui. Angelots vus en buste, et qui jouent une scène étonnante. Le petit rouquin est un garçon, les cheveux blonds sont à une fillette du même âge. Eros commence au jardin d'enfants. La fille grimace fort et essaie de se défendre; le petit mec la serre contre lui d'une main, et de l'autre lui tord le bras. Il est si content de cette petite démonstration de machisme qu'il retourne la tête pour nous prendre à partie.
Une petite surprise en passant ! Rubens, grand amateur de chair fraiche, a copié le Parmesan.
Le Cupidon est un peu plus âgé, moins salace, sa chair est moins ferme. Entre ses jambes, les deux putti sont grassouillets comme il sied chez Rubens, et leurs jeux sont assez mols. Rubens, disait Baudelaire, jardin de la paresse, oreiller de chair molle où l'on ne peut aimer...
2 - Bronzino
Parmesan vivait entre 1503 et 1540, sautons à son exact contemporain Bronzino. "Allégorie de la luxure". Tableau assez connu, on y voit l'enfant baiser sur la bouche sa propre mère tout en lui prenant le sein et faisant dépasser le téton entre ses doigts. Il y a beaucoup d'autres éléments et personnages, dans une allégorie cela va de soi. Mais je voulais d'abord noter que ce garçon encore plus nu que sa mère - qui est habillée d'une chevelure torsadée et emperlée qui sort d'une longue séance chez le coiffeur - il peut avoir dix ans et porte une belle chevelure rousse bouclée mais surtout il pointe le cul en arrière d'une façon obscène.
"Vénus et Cupidon avec un satyre".
Sous l'oeil ravi d'un satyre, la déesse de l'amour est comme nous la préférons : nue et couchée. Elle vient d'arracher l'arc à son fils et le tient derrière sa tête, hors de portée, ayant déjà une flèche d'or, également saisie, qu'elle planque sous elle. Elle est belle et douce, a un grand corps bien blanc, elle regarde le gamin avec qui elle joue d'un air sérieux et tendre à la fois - peut-on imaginer une Vénus riant ?..
Lui. Il ne lui reste en main que la flèche de plomb, celle qui ne provoque aucune émotion chez la victime (c'est dans les Métamorphoses d'Ovide qu'il y a la distinction de ces deux flèches). Il sourit, comme il en a le droit, il regarde maman et se plaît à ce petit jeu, dont il ne sortira pas vaincu bien sûr. Il est vêtu des mêmes ailes multicolores, des mêmes boucles d'or, mais en guise de baudrier on lui voit sur le dos un beau bijou d'or à grosse perle tenu par une mince ficelle; le carquois, il est vrai, n'est pas loin.
Bien sûr je voulais en arriver aux fesses. Il ne les pointe pas ce façon obscène, mais elles sont dodues, rebondies, blanches comme lait, elles tenteraient un ange du bon dieu.
Cavalier d'Arpin
Ce peintre réputé facile et détesté par Caravage fit aussi un concours de belles jambes. L'érotisme éclate entre la mère Vénus et l'enfant Cupidon, nous avons déjà vu cela. Vénus prend son pied...
3 - Allori
L'élève préféré de maître Bronzino s'appelait Alessandro Allori. Son œuvre est pleine de splendeurs éclatantes. A son tour il a peint Vénus couchée désarmant son fils; on en a deux versions, à Los Angeles et à Montpellier. Son effort a été de lui mettre la tête à droite et non à gauche, et de supprimer l'inutile et redondant Satyre, d'ajouter dans un coin deux pigeons qui s'aimaient d'amour tendre, et au coin opposé un bout de paysage. Et puis un bouquet de fleurs assez abondant à Montpellier, qui, joint à un voile transparent, n'arrive même pas à cacher le divin sexe, attirant plutôt l'œil sur cette partie.
Dans la version de Los Angeles, il y a seulement le voile, déjà moins transparent, aussi inutile. La dame est moins étendue, elle relève le torse, la pose est idéale pour ce qu'on appellera "un nu". Le fils, qu'elle tient à distance en tirant sur son bras, le fils et elle se regardent droit dans les yeux, comme de vrais amoureux.
Version de Montpellier
Version de Los Angeles
Il faudrait faire des recherches sur plusieurs points. D'où vient la légende ou l'idée d'Eros fabriquant lui-même son arc ? D'où l'épisode de Vénus désarmant son fils ? D'où l'idée que mère et rejeton forment un couple d'amoureux ?
Pour le deuxième problème, mais bien sûr ! c'est Ovide en ses Métamorphoses, livre X, vers 525, qui écrit :
"Un jour que l'enfant au carquois donnait un baiser à sa mère, sans le savoir il blessa légèrement son sein avec une flèche qui dépassait. La déesse, sentant la pointe, repoussa de la main son petit. Le coup s'était porté plus profondément qu'il ne semblait, elle s'y était trompée". Et voilà pourquoi, devenue amoureuse par la flèche de son enfant Cupidon, elle court après le bel Adonis...
Du coup, ces vers répondent à la troisième question, et font trouver évident que mère et fils se bécotent, ou que le môme palpe le beau sein de maman.
4 - Iconographie de Vénus désarmant Cupidon
Je vais faire une petite genèse de notre sujet : Vénus désarmant Cupidon. Nous revenons donc à l'iconographie. Nous allons remonter le temps, et à partir de notre Allori, aller d'élève en maître.
Bronzino
Vénus,Cupidon et satyre. Rome Palazzo Colonna.
J'ai inversé l'image, et voilà !. Voyons ensuite...
De Pontormo à Michel-Ange
Pontormo, Vénus prenant la flèche de Cupidon, Galerie des Offices.
La Vénus, solide, malgré la tentative de baiser de son petit ange, doucement lui retire sa flèche; l'arc est déjà mis à gauche, avec deux masques l'un souriant l'autre amer, qui signifient les joies et les souffrances liées à l'amour.
Toujours ce pied...
Or voici, de ce tableau qui n'a pas vraiment l'air d'un Pontormo, une version en couleurs fraiches, qu'on dit de Michele di Ridolfo, et inspiré de Michel-Ange...
Un certain Hendrik van de Broeck, sans doute admirateur de Michel-Ange, donne aussi sa copie.
Et l'on arrive au premier maître, Michelangelo Buonarotti. Ce dessin se trouve à Naples, au musée de Capodimonte.
Si vous avez bien retenu, imaginez mon petit voyage à l'envers, et vous obtiendrez la filiation de ceux qu'on appelle les Maniéristes : Michel-Ange engendra Pontormo, qui engendra Bronzino, qui engendra Allori.
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5 - Codicille à Parmesan
Je veux revenir à Parmesan, c'était quand même un cochon ! Voici d'abord comment il interprète le mystère sacré de l'Annonciation.
Cet ange a presque des seins. Quant à la Vierge, à demi assise ou vautrée, elle semble dire : d'accord pour tout ce que tu veux !
En premier plan un angelot, puissamment dessiné en contre-jour, et qui est une statue : ça faisait donc partie du mobilier de la vierge, comme ses affaires de couture ?
Angelots supplémentaires en haut, écartant le rideau d'une penderie, et qui ont l'air plutôt coquins.
On verra mieux le manque total de sacré en comparant cette Annonciation avec Eros et Psyché de :
Jacopo Zucchi
Pour Zucchi, pas la peine de vous faire un croquis : bouquet attirant l'oeil sur ce qu'il cache, femme nue à la lampe qui est censée représenter l'Ame (Psyché) et enjambe déjà l'adolescent nu...
Quant aux angelots, le même Parmesan qui en a mis entre les jambes du Cupidon à l'arc, en met un entre les jambes de son confrère de l'Annonciation.
Bon. Cette époque était parfois impie ...
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