Amoureux des images
L'amoureux des images, s'il est las des musées ou incapable de voyager, s'en paie une tranche en puisant sans vergogne dans les images offertes par l'Internet. Il découvre ou redécouvre. Il fait des rapprochements. Il se laisse aller à la rêverie, aux commentaires...
Le baron Gros
Bonaparte au pont d’Arcole,
tout le corps avec l’étendard étreint penché, raidi contre le vent, ses cheveux
fouettés à contre-sens, son profil tourné vers les soldats invisibles, qu’il entraîne.
Et pendant ce temps-là, le Tambour de Cadenet
celui que la statue montre sur un pied bondissant
prend à revers l’Autrichien.
Ayant quatre fois son âge, puis-je avoir au moins l’âme aussi charpentée, l’esprit aussi fier à la course,
moi qui marchais toujours en tête ?
Ce que nous attendons des vieillards, écrivais-je à ma mère,
c’est qu’ils montrent aux jeunes comment on affronte la mort.
Contempler le tableau la statue de ces deux intrépides
jusqu’à ce que mon corps se façonne à leur semblance.
Comment renaître, ô corps perdu ?
(Allez le voir au village de Cadenet ! C'est là que je l'ai photographié)
Edgar Maxence
"Au dimanche"
J'aime qu'avec si peu de choses on puisse évoquer la campagne, la tradition vestimentaire, la méditation.
Xi Pan
Guère de chinoiserie dans cette Mère et enfant de Xi Pan (2008), mais l'intemporel; car ce sujet a été depuis le Moyen-âge un des plus touchants et que le plus de peintres interprétèrent, notamment sous le prétexte religieux de la Madone avec son petit Jésus, prototype et idée platonicienne de cet évènement et de ce lien qui marquent toutes les vies humaines sur Terre.
Passons à l'insolite ou au bizarre, il y en a beaucoup si l'on cherche...
John Collier
Ainsi ce Bébé rencontrant une sirène sur la plage, de John Collier. Je vois ici un très riche fantasme. Le bébé nu, sorti de la rouge grotte, fait ses premiers pas aux confins de terre et de mer. Or la Femme qu'il découvre, c'est une sirène à queue de poisson (non pas comme les femmes-oiseaux d'Ulysse dans l'Odyssée). C'est à dire, le dessin animé de Walt Disney l'a explicité sans hésiter : la jeune fille encore fermée, celle qui ne s'éveillera à la féminité - à deux jambes - que grâce au baiser du prince charmant. Le peintre l'a placée au premier plan, c'est elle qui attend le petit d'homme. Quand il arrivera, sera-t-il le jeune homme dont elle a besoin ?
Ou ce bébé est-il une petite fille ? à cet âge la différence n'est pas très visible... Alors on dira que la Sirène attend son double à deux jambes...
Anonymes introuvables
Est-ce une photo, est-ce un tableau halluciné ? Ces cadavres dans la neige évoquent les horreurs de la guerre ou des tremblements de terre. L'apparence est très réaliste, cependant aucun contexte ne permet de situer la réalité dans le temps et le lieu.
J'ai trouvé ce tableau, dans un état fort noir, en même temps que le suivant, alors que je faisais du surfing à propos du massacre des légions de Varus par les Germains, vieux souvenir de latiniste qui étudia jadis Tite-Live.
Donc, une reconstitution du genre "péplum" de légions en marche dans des Alpes fort enneigées. Car on n'imagine plus guère les horribles souffrances des militaires antiques, qui valaient bien, peut-être, celles des nos Poilus en 14, ou de l'Armée Rouge stoppant l'avancée allemande à Stalingrad.
Ce qui me remet en mémoire les paroles de Claude Nougaro dans "La Neige" :
Elle danse la neige dans la nuit de Noël
Autour d'un tank brûlé qu'elle a pris pour chapelle
Légions de Varus... Cette image-ci vient-elle d'un jeu vidéo ? Elle s'appelle "Varus Arctic"
D'aucuns se sont amusés à replacer des tableaux célèbres dans leur décor d'origine, montage en somme d'une photo et du cliché d'un tableau. Par exemple cette vue de Guardi resituée ans la Place Saint Marc de Venise.
Ou ce tableau de style "orientaliste" dans un souk.
Bravo pour le raccord des voûtes !
...Aujourd'hui, journée fertile. Hanté par les récits horribles que j'avais lus ou entendus sur les plus grands crimes de guerre commis par ceux qui plus tard, vainqueurs, jugèrent les crimes "contre l'humanité" des vaincus. Hambourg, Dresde cette grande ville d'art et de musique, et voilà que je tombe sur Hiroshima et sur Tokyo. et de là, la machine à images m'entraîne vers des peintres japonais actuels.
Manabu Ikeda
est un dessinateur fantastique, dont j'ai nommé à ma façon les tableaux, et eux-ci sont d'une telle richesse que je n'ai u en reproduire que des fragments.
Ainsi "Fragments d'antiques civilisations" , où vous trouverez des bulbes d'or de type russe, des temples ronds se quelque Siam, une Pyramide à degrés, des statues de Colosses...
Là, j'ai découpé une évocation du Japon comme patrie des cascades que tant d'estampes ont figurées, bien lisses et verticales, et terre du feu souterrain qui s'épanche en lave brûlante... Le Japon est une série d'îles, aussi descend-il vers la mer...
Shinji Tsuchimochi
lui, c'est un dessinateur actuel, du côté de la Bande Dessinée, mais nullement de ces êtres d'aucune race qui peuplent les Manga post-atomiques.
Voici une vue de Tokyo la nuit. Mieux que Tintin, non ?
Mon tour d'horizon et d'ordinateur ne serait pas complet sans quelques tableaux de style classique qui ont le mérite d'être inconnus, et assez surprenants quant au sujet.
Louis Léopold Boilly
Qui d'entre vous connaissait ce peintre ? Connu notamment, dit Wikipedia, pour ses scènes de la vie parisienne dans les années qui suivent la Révolution.
Le jeu de billard - 1807
Etonnant document d'époque (directoire) : dans la salle de jeu où de belles dames poussent la queue, un papa en chapeau-tube serre sa fillette contre lui, des enfants jouent près des chiens, des dames pouponnent, un vieillard en perruque flirte...
J'adore la mode Directoire... Mais ce monsieur Bailly ne se cantonna point à la peinture des bourgeois.
Lesquels d'entre vous, nés après la guerre, se souviennent d'avoir fait la queue pour s'alimenter ? On dit maintenant "file d'attente", quelle pruderie ! En tous cas, voici "La queue pour le lait".
Et puis cette lithographie de 1825, "Les mangeurs d'huitres". Je trouve qu'il y en a un qui ressemble à Beethoven.
Lequel mourra deux ans plus tard.
Non ?
Charlotte Corday
Ne terminons pas sans une dernière évocation de la Révolution. Un inconnu a fait cette très patriotique Charlotte Corday.
Sur le mur à droite, une affiche représente un faisceau tricolore avec les mots : "Comité de salut public".
Sur sa tête la coiffe "Fanchon", quelques accessoires tricolores. Elle a mis sa plus belle robe, qu'elle veut confondre avec les plis du rideau... Elle cherche à se cacher, on va sans doute l'arrêter après son crime. Mais elle se dévoile à demi, prête à affronter ses juges comme une vraie patriote.
Car elle fut arrêtée, jugée et dûment guillotinée.
A côté d'elle, on voit l'historique baignoire de Marat. Mais le cadavre n'est que griffonné, comme un souvenir ou un fantôme de ce Marat si charnel que peignit Louis David.
Une lithographie tardive de François Séraphin Delpech la figure ainsi :
Je me demande ce qui a pris aux peintres de second ordre de vouloir refaire un Assassinat de Marat après le chef d'oeuvre de Louis David, que nous verrons bientôt. Ainsi ce désordre et le changement d'angle qui ôte toute la solennité à l'évènement.
Paul Baudry
Charlotte Corday - 1860 Nantes
La carte de France au fond, est-ce pour les écoliers futurs ? Et puis il y a une bizarrerie dans les mains qui, comme sur le tableau anonyme, sont à droite vers le rideau. On dirait qu'un main extérieure s'agrippe avant de surgir tel un fantôme ou un accusateur...
Louis David
L'Ami du peuple fut assassiné le et ce crime fut considéré par les révolutionnaires comme un attentat contre la nouvelle Constitution. La Convention commanda à David cette toile au fond hautement politique.
Je n'irai pas plus loin que ce si beau tableau, où on peut lire la lettre que Charlotte lui avait apportée : "Il suffit que je sois bien malheureuse pour avoir droit à votre bienveillance".
Allez en paix et farfouillez bien dans votre ordinateur !
- - - - - - -
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 24 autres membres