La chevelure de Madeleine
Ce que nous appelons le roux était "cheveux d'or" en poésie, et plus généralement on dit "blond vénitien". Nul n'a fait une chevelure plus somptueuse que Alessandro Allori : voici sa Madeleine aux pieds de Jésus qui visite les deux soeurs à Béthanie.
Le très grand historien de l'art Daniel Arasse, dans un livre très plaisant titré "On ne voit rien", a un dernier chapitre (un peu lourdingue) consacré à la chevelure de Marie-Madeleine, qu'il dit être une allusion à la petite touffe ou motte en qui se concentre le désir du mâle; la chevelure est une métonymie ou une synecdoque du pubis, et plus elle sera longue et superbe, plus on imaginera de vertus sexuelles chez la femme représentée.
Car il y avait un interdit chez les peintres. Les auteurs d'innombrables "nus" s'arrangeaient pour ne jamais montrer la toison, ni le sexe épilé.
J'étais effrayé, dans mon enfance, à la vue dans les livres de toutes ces femmes même debout et de face, comme la Source de M. Ingres, qui avaient un néant en bas du ventre.
J'ai trouvé, récemment, une Madeleine nue avec longs cheveux et pubis. Francesco Hayez en 1825, sous le titre de Marie-Madeleine en ermite ! On voyait bien, comme disait Boris Vian, que c'était une fausse blonde.
En tous cas, les considérations d'Arasse n'ont rien à voir avec la vérité des cheveux longs, et peu avec les tableaux de la sainte, même les plus sensuels.
Le Titien
Le Titien a fait deux tableaux cadrés de la même manière, censés figurer Marie-Madeleine pénitente. Celle de la collection Getty dont le double est à Petersburg est plus habillée.
Les deux lèvent les yeux au ciel et cela doit suffire pour exprimer quoi ? La foi, le bonheur d'être unie à Dieu, en tous cas pas clairement la conversion et pas du tout le repentir. Occupons-nous de la plus connue des deux, qui est au Palais Pitti à Florence, datée de 1533.
Il représente, sous prétexte, une fille telle qu'elle peut induire au péché. Ses longs cheveux sont d'une main plaqués contre le bas du ventre, tel un sous-vêtement bien facile à ôter, de l'autre sinuant autour de deux seins nus, ravissante guirlande qui met en valeur lesdits seins.
Le tableau est en demi-figure ou un peu plus (plan américain). Les jambes ici ne sont pas convoquées, sans doute le peintre n'avait pas un goût marqué pour cette partie du corps. Jambes sont montrées par divers peintres en d'autres circonstances : prosternée aux pieds du divin convive, debout au pied de la croix, à genoux devant le ressuscité, de toutes façons vêtue de pied en cap
Notons que les peintres savaient, depuis Cranach, montrer des femmes nues debout, Vénus ou Eve. Ni provocantes ni excitantes. Cranach sut même s'amuser en habillant Vénus d'un grand chapeau d'été, qui fait ressortir la nudité – sans atteindre à l'effet du David que fera Donatello, quelques années plus tard (1530). Tenant une épée qui vient de servir - il a le pied posé sur la tête coupée de Goliath - il est habillé d'un casque et de bottes, entre ces deux extrémités forçant le regard à constater l'éblouissante nudité de ce corps si lisse, aux courbes si souples, à la peau de bronze luisante d'un seul tenant.
Le propos du Titien n'est pas de nous exciter - son ami l'Arétin lui écrivait : Tu vas nous faire encore une de ces Vénus bien bandantes ? Ma foi, à chacun son regard. Quand j'avais quatorze ans, j'ai admiré dans le livre d'histoire la Vénus d'Urbin. Eduqué "catho puceau", je n'ai pas eu la moindre mauvaise pensée à avouer au confessionnal. Par contre, devant l'esclave tourmenté de Michel-Ange… Quand ma fille au même âge vit la Vénus d'Urbin, elle n'eut qu'une réaction : Comment on peut montrer une fille qui se doigte ?
Excite-toi ou non devant la Marie-Madeleine, moi je trouve que le Titien a fait ce qu'il fallait pour la montrer en pécheresse, et pas du tout en repentie.
Le repentir est une action d'âme. Comment peindre (ou sculpter) le repentir et la conversion, et puis la reconnaissance, la virginité, la sainteté ? Si cela était possible, les commandes que recevaient les artistes de paroisses ou de confréries eussent été honorées. En lieu et place, avec pour seule notation psychologique des yeux levés ou des paupières baissées, ils fournissaient une scène plus ou moins légendaire.
Personne n'a pu exprimer ce que la narration évangélique, sobre et suffisante, raconte de ce qui se passa chez Simon le Pharisien. L'entrée en coup de vent d'une fille qui vient d'apprendre (parce qu'elle a des relations) que le Maître y est invité, le prosternement les larmes le parfum, les cheveux, le scandale (aux motifs divers) de Judas et des convives, la pensée de Jésus qui prend forme en un petit discours etc.
Domenico Tintoretto, le fils et collaborateur du grand Jacopone dit le Tintoret, peignit par deux fois une ravissante au nez en trompette. La première n'est point trop dévêtue mais a de longs cheveux épars. Elle n'est pas indigne d'une pénitente.
La deuxième, qui a l'honneur d'être exposée à Rome, aux Musées Capitolins, est un nocturne, au profit de la lune et d'une illumination qui vient du ciel sur la convertie, déjà sanctifiée en somme :
Elle a les objets convenus pour exprimer sa situation, les mêmes à peu près que les innombrables Jérôme en pénitence au désert. Bol de petite bouffe, crâne et crucifix, une bible ouverte et des lunettes. En guise de table, elle a une ensemble de paille qui m'a d'abord fait penser à une crèche. Mais cette paille est tressée d'une façon singulière, de même que l'étrange costume du genre cabas d'où sort, à peine montrée, sa nudité.
Un savant l'a rapprochée d'un ermite Paul, dans sa grotte, qui pratique le même genre de macramé.
José de Ribera
Le Caravage
Un seul tableau, à ma connaissance, approche de l'idée de conversion, sans prétendre l'exprimer par les traits du visage. Caravage, Marthe et Marie. Ce sujet intrigue parce qu'il n'était dit nulle part que, des deux sœurs de Béthanie, l'une eût cherché à convertir l'autre; il faut se souvenir que Marie-Madeleine est une "condensation" de trois ou quatre personnages évangéliques. L'évangile johannique invente même une nouvelle visite de Jésus à ses amis de Béthanie, où il avait ressuscité Lazare. Au repas, Marthe sert, mais Marie prend un parfum, en enduit les pieds du Maître et les essuie avec se cheveux etc. Et Judas Iscariote se scandalise.
Après tout, cette jeune femme qu'on nous montre assise par terre pour écouter Jésus était peut-être en voie de conversion.
Il met en scène face à nous les deux sœurs derrière une grande table. A gauche, Marthe est en train de discourir, d'argumenter (geste traditionnel de compter sur ses doigts), pour convertir sa sœur. Je vais citer Bernard Blanc auteur de "La jeunesse perdue de Caravage".
Deux femmes s’entretiennent. L’une, au centre, assise face à nous, bien éclairée, tourne un regard attentif vers l’autre, qui est à gauche assise ou agenouillée, la bouche entrouverte, en train de lui parler avec ardeur. Les deux personnages sont peints en demi-figure, on ne voit que leurs bustes. Aucun décor, sinon le dessus d’une table de bois nu, qui barre le bas de la toile. Quant aux accessoires, ils sont tous dans la partie du tableau occupée par la première femme, qu’on nous dit être Sainte Madeleine. Deux beautés fort différentes, deux poses, deux habillements aux couleurs somptueuses; des mains ravissantes mais qu’elles tiennent chacune à sa façon. Un échange et une complémentarité qui tissent entre ces deux femmes et répandent sur le tableau entier un silence d’une densité exceptionnelle. La parleuse, dont le profil est dans l’ombre, avec ses habits en désordre, les mèches négligentes à sa tempe qui contredisent l’ordonnance de son chignon, avec son élan et son ardeur, est une figure réaliste et vivante; on se demande quel impact peut avoir son action oratoire sur cette charnelle et impassible Madeleine, vêtue de façon élégante, soignée depuis les cheveux jusqu’aux manchettes de dentelle, qui se tient hiératique, et dont les mains si curieusement disposées ont affaire à une fleur blanche et à un gros miroir, objets évidemment allégoriques.
Avant de donner lieu à des évocations psychologiques, la peinture est assemblage de formes. Il y a ici une géométrie des formes et des lignes, qui peut nous guider dans le parcours du tableau. Le "fléchage" le plus visible est amorcé par la manche de Marthe (ou ce pan de manteau enroulé autour de son bras droit); il passe par ses mains, il se prolonge dans la manche rouge de Madeleine, pour se terminer, se boucler à la petite fleur d'oranger. Nous devons tenir compte de l’auriculaire, par lequel Madeleine joint deux fléchages presque parallèles : celui qui vient de Marthe et celui qui vient du pot de fard en passant par un autre tissu, écharpe jaune.
Le pot de fard est facilement expliqué par l'iconologie comme une de ces "vanités" auxquelles la convertie doit renoncer. Et pourtant, si Marie-Madeleine est la pécheresse qui oignit les pieds de Jésus, cet onguent prend une valeur opposée, il est l’instrument même de sa piété. La fleurette procède d'une quasi-verticale, qui part de l'accroche-cœur au front de Madeleine, et suit la médiane du visage, puis le sillon entre les seins. Marque l'axe du corps humain, qui est symétrique, ou double. Cette humanité double est celle sur laquelle prennent, comme dit Péguy, le péché et la grâce.
Il faut franchir ensuite un vide, extrapoler cette grande oblique que nous venons de suivre, pour arriver à l'insolite reflet. Tout nous a conduit jusque là. Le doigt muet de la convertie, placé un peu plus haut que le carré de lumière auquel nous sommes aboutis, affirme quelque chose de bien plus pur et divin que les doigts diserts de l'argumenteuse. Mais quoi ? Si Madeleine a déjà renoncé aux vanités de ce monde, cela explique que le miroir ne la reflète pas, elle. Dans l'ample tradition iconographique de la Vanitas, le miroir figure toujours en bonne place, comme l'instrument d'une complaisance narcissique envers soi-même, qui est le premier obstacle à la sainteté. Nous avons fini par appeler vanité cette complaisance.
La lumière. De gauche à droite, à nouveau, nous suivons un véritable itinéraire de la lumière (divine). De la sœur sérieuse et remontrante, elle éclaire le chignon ennemi du laisser-aller, et l’épaule porteuse, et les mains argumenteuses. Mais son visage, tout dans l’ombre, n’est que rosi par le reflet de ses propres mains.
Si Dieu est la lumière, doit-on dire que Marthe tourne le dos à Dieu ? Non : chez Caravage, Dieu n’est pas la source de l’éclairage, il est la lumière elle-même, enchevêtrée aux ténèbres ! La grâce divine ensuite baigne de Madeleine et la face impassible et l’embonpoint du buste, toute cette chair lisse et blanche, grasse et juvénile, et deux mains qui n’argumentent pas.
Que font-elles, ces mains ? L’une délicatement place une fleur presque entre les seins. Fleur d’oranger matrimoniale. Ainsi l’Epouse du Cantique des Cantiques, qui dit : « Mon Bien-aimé est comme un bouquet de myrrhe niché entre mes seins ». Et la main gauche porte un anneau de mariage, et l’exhibe en retroussant un doigt particulièrement long. Au bout de l’itinéraire lumineux, un miroir rond et convexe, où brille une mystérieuse tache de lumière.
Le miroir. Que peut-il être, sinon la réflexion elle-même ? Ce miroir comptait parmi les objets de la pécheresse. Madeleine désormais ne s’y mire plus. Elle le dresse comme un bouclier, elle le touche de son doigt nuptial. Elle montre, comme un cabochon de cristal ou quelque monstrueux diamant, cet étrange sceau, dont l’origine matérielle fut peut-être la fenêtre invisible à gauche… L’importance de ce geste est si grande, que Caravage s’est livré ici à un jeu de reflets et d’ombres proprement ahurissant. Le carré de lumière et son halo semblent reculés dans l’épaisseur du miroir, comme une image virtuelle. Mais les doigts, proches de la surface convexe, reflètent leur face inférieure, totalement noire, dont la pointe de l’index allongé, qui occulte partiellement la lumière blanche. Celle-ci cependant fait une frange claire autour des doigts noirs, comme si le reflet des mains blanches était lui-même éclairé par dessous. Il faut saisir cet ensemble de main et de miroir non comme une réponse, mais comme une question à nous posée.
La petite sœur, une cendrillon qui aurait encore de belles fringues, et la grande sœur, prostituée romaine de haut vol. La petite invoque, supplie, argumente. Elle se débat autant qu’elle débat, elle en perd la bretelle de son corsage. Elle veut obtenir de la grande sœur quelque chose qu’elle n’obtiendra pas. Car l’autre, si haute, si assise, si pleine, abaisse sur elle un regard qui ne dit rien, et sa bouche charnue ondulante reste close. Elle est ailleurs, elle est déjà ailleurs, dans un ordre de réalité qui ne peut être signifié que par des symboles. Les objets du tableau, qui lui appartiennent tous, la désignent comme coquette et sont toujours là, même si elle est convertie. La coquetterie, la vanité est toujours là. Mais l’étoupe est usagée, le peigne a perdu des dents.
A la table descend le beau voile vert que Madeleine porte au bras gauche, sur la table s’appuie son miroir. Mais celui-ci vertical, dressé comme un bouclier (est-ce le bouclier de la foi de Saint Paul ?), et tourné de façon à ne plus mirer la beauté du visage. Ce voile vert, superflu dans son habillement, semble avoir enrobé, dérobé, il y a peu de temps encore, le miroir; on l’a tiré comme un rideau, pour dévoiler du miroir le fondamental mystère.
Le corps de Marthe, avec ses mains et la manche, est tendu vers quelqu’un dont elle attend un oui, et qui a déjà sa réponse : c’est Madeleine se composant en allégorie. Elle a repris de ses objets vanités la fleurette et le miroir, pour les mettre en scène avec son sein et ses mains. Et son regard vers la petite sœur l’invite à se taire et à mieux regarder. A voir ce qu’elle nous montre.
L’autre main désigne ce qu’il faut contempler dans le spéculum; montre la différence entre spéculer et argumenter. Il n’y a rien à voir, qu’un carré blanc abstrait, un foyer lumineux inclus enchâssé dans la noirceur du miroir. Lumière si localisée, concentrée, ténue et tenace, qui joue seulement à faire quelques reflets sous les doigts. La main gauche se pose sans peser sur le miroir énorme et qui ne montre rien, comme sur un objet doux et ami, lisse et simple, un ustensile qui ne sert plus à rien. Ce miroir est à lui seul, dans sa circularité, le lieu clos de la contemplation mystique. Comme l’ont dit à l’envi les saintes contemplatives, c’est dans le dénuement de l’âme que ça se passe, dans le renoncement à voir quoi que ce soit de tangible. Dans le saint effort, tantôt aride, de recevoir, à pleins yeux de l’âme et sans scruter, le mystère tout nu de la présence divine.
Pose de Marie-Madeleine : L’immobilité dans laquelle elle tient son être et fige les gestes emblématiques de l’une et l’autre main. Figure de silence qui n’a pas même de mots à répondre à l’argumenteuse. Seulement ce double geste, constituant un dire énigmatique. S’il n’y avait son regard, qui tout de même est tourné vers la petite sœur, on croirait qu’elle est déjà totalement sortie du monde. Retirée. Non seulement des objets, matières à vanité, matière de sa vanité, mais retirée des gens qui bougent et de la parole qui va entre les gens. Ce qu’elle indique par ses doigts, par la fleur blanche et le miroir noir, c’est un rébus de l’état dans lequel elle est entrée maintenant, l’état de Grâce.
Le corps est le miroir de l'âme, trois doigts peuvent être luminescents quand l'âme est éblouie par la lumière de Jésus, non pas l'ami de la famille, mais celui qui dans l'évangile johannique est désigné comme "La Lumière, qui venant en ce monde, éclaire tout être humain".
Ce miroir symbolique, spirituel, est pourtant réel : la lumière carrée éclaire en transparence le bout des doigts, qui se reflètent dans le haut de la glace. Il en va toujours ainsi dans la peinture presque toujours religieuse de Caravage : plus un objet ou une scène est chargé de sens et de spiritualité, plus il prend soin, minutieusement, de leur réalisme.
Revenons aux cheveux longs.
Je soutiens qu'ils n'ont pas besoin d'évoquer le pubis pour être la plus belle parure d'une femme, et la rendre désirable – je ne fais pas seulement état de mes goûts personnels. Toute la civilisation occidentale comporte, âge après âge, un art de la coiffure, qui est d'une importance essentielle aux dames pour leur donner de la classe et du prix.
Je prends classe au sens propre social. On nous montre merveilleusement coiffées des dames riches et nobles - ou des êtres mythologiques dignes de ce rang, avec des coiffures savantes, enchevêtrées de bijoux et colliers de perles. Les peintres "de genre" ou "réalistes", s'ils s'aventurent à montrer des femmes du peuple, laissent leurs cheveux coupés au bol ou cachés sous des bonnets.
Botticelli Simonetta Vespucci à la plume.
Bronzino : une des saintes femmes penchée vers le Christ mort
Garofalo : l'Ange de l'Annonciation
Les cheveux défaits
Depuis les latins antiques, la chevelure dénouée a un sens. L'athlétesse Atalante, la Diane chasseresse, chez Ovide, courent "passis crinibus", cela lui confère une beauté sauvage très intéressante .
Mais c'est aussi la manière de l'amante, quand elle a abandonné tout ce qui la rendait présentable en société. Parée elle a pu plaire et séduire, elle se donne naturelle.
Rubens
Lorsque Orphée vint chercher Eurydice aux Enfers, il était dit qu'il ne devait surtout pas regarder en arrière. Rubens les a saisis au premier pas vers le dehors. Voyez Orphée le visage coincé vers l'avant; heureusement, sinon il verrait sa femme, ayant en toute hâte essayé de voiler sa nudité, se retourner avec un regard allumé vers ce couple infernal avec qui elle en avait fait de drôles ! C'est une petite illustration de mon idée de la nudité avec cheveux longs...
Si la Pécheresse s'amène chez Simon les cheveux défaits, elle est en amoureuse. Jésus ne s'y trompe pas et il profère cette parole scandaleuse : "Il lui sera beaucoup pardonné puisqu'elle a beaucoup aimé".
Montrer Marie-Madeleine pénitente au désert les cheveux défaits (et d'un roux éclatant) et les plus longs possibles, c'est la même chose que de la montrer nue ou demi-nue.
Ce qui est susceptible de deux interprétations. Elle s'est isolée du monde, n'a que faire des séductions mondaines, vit pauvrement hors du regard des autres. Ou bien le peintre choisit de nous la montrer en tenue d'amante – en sorte que nous la trouvions désirable.
Giampetrino élève de Léonard
Ceci dit, pour renouer avec mon propos initial, la nudité en peinture n'excite pas automatiquement, pas même les nombreuses Vénus couchées qu'inventa le Titien. La peinture cochonne ne commence même pas avec le harem de Monsieur Ingres, qui est d'une qualité telle que les voluptés y sont transcendées. Mais avec les académistes de la même époque, les Gérôme ou les Cabanel, qui peignent des femmes dénudées comme des femmes à poil.
Donatello
La célèbre statue en bois de Donatello, où Marie-Madeleine debout les mains jointes, émaciée par le jeûne, est entièrement vêtue de sa chevelure, est une invention originale et riche de sens. Elle fait pénitence parce qu'elle a été pardonnée, ce qui est conforme à la doctrine et à la pratique chrétienne de la confession.
Du même coup, cette chevelure qui signalait son état de prostituée ou de séductrice, elle ne l'a pas coupée ras comme font les nonnes quand elles prennent le voile. Elle l'a laissé pousser sans limite, et la chevelure devient le vêtement de la chasteté, qui cache son corps à la concupiscence des mâles.
Là où le péché abonde, la grâce surabonde.
Je ne peux pas terminer sans montrer l'extraordinaire chevelure rousse que Piero di Cosimo a donné à Marie Madeleine dans un "tondo" où elle pose avec Marie, le petit saint Jean et l'enfant Jésus. La sainte est parée abondamment et d'une façon très personnelle. Sa chevelure est à la fois coiffée et tombante. Son visage très jeune, lisse et distingué reflète son recueillement et sa piété.
Mais je dois revenir à Alessandro Allori, car il a su peindre sans pathos et avec chasteté une Madeleine pénitente,
qui contemple d'un air rêveur un crucifix. Bien entendu, cet objet de piété n'existait pas au premier siècle; mais c'est une façon de dire qu'elle revoit en pensée ce Christ qu'elle avait accompagné jusqu'à la mort.
Elle a les cheveux de la couleur qui convient, un blond un peu moins vénitien que dans notre tableau de départ, et ces cheveux sont défaits, ce qui ne dénote pas une femme du peuple, mais celle qui a gardé pour toujours la chevelure de l'une des Madeleines, grâce à quoi on pouvait essuyer les pieds. Et voilà tout : ces cheveux n'ont aucun rôle érotique et la sainte est vêtue, pauvrement et simplement, les pieds nus.
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