COSMOS Iconologie

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Entre les deux gares de LilleEntre les deux gares de Lille Ils se regardaient les yeux dans les yeux, et on a beau dire que les amoureux sont seuls au monde, ils ne rejetaient rien du monde. Ils tenaient leurs visages assez éloignés pour que mon propr

Entre les deux gares de Lille

 

 

 

Ils se regardaient les yeux dans les yeux, et  on a beau dire que les amoureux sont seuls au monde, ils ne rejetaient rien du monde. Ils tenaient leurs visages assez éloignés pour que mon propre regard et l'air du vaste espace circulent entre eux deux.

Aucun peintre ne saurait rendre l'éclat des yeux qui viennent de découvrir l'amour  - un peu exorbités, qu'une humeur fait briller - une fascination réciproque qui généralement menace les gens à l'entour et suspend les conversations.

En vérité ils ne se fascinaient pas. Leurs yeux brillaient au bord des larmes.

Se tenant les deux mains, bras pendants, comme de nouveaux amis. Reculant ou renversant le buste pour être à la bonne distance  - car à l'intimité, à l'étreinte, les yeux louchent et ne peuvent contempler.

C'est donc toi ? c'est donc toi que je prends le temps et la distance de regarder à pleins yeux, en totale franchise, sans arrière-pensée. C'est avec toi que la grâce d'amour m'arrive.

 

Ils avaient vingt ans, le visage clair, sans apprêt, ils ne s'étaient pas encore composés.

Le bonheur si récent écarquillait leurs yeux.

Leur patience était profonde ils ne se ruaient pas l'un contre l'autre en dépit de la foule qui passait,

ils ne se mettaient pas à danser (comme jr fis jadissur la ligne frontière en scandant A Ya Bourguiba ! oucomme Rodrigue Paraissez Navarrais Maures et castillans ! )

Grande qualité d'âme, mais aussi cela que les filles amoureuses de filles revendiquent tout bas : lenteur, pas d'impatience.

La peau des joues et du menton pas fraîche. Ils vivaient pourtant une naissance. Une révélation.

 

Autour d'eux à travers eux l'air brassé d'un soir, sur un très large pont reliant les deux gares de Lille, avec à droite un forum et trois grandes pelouses que l'on surplombait, beaucoup de gens mais sans hâte, des voitures au ralenti avec leur forte odeur, une clarté très ouverte, chacun allant à son but.

 

 

 

 

 

Et personne ne voyait, à l'entrée d'un passage souterrain qui faisait une trouée dans le trottoir, cette femme assise sur l'avant-dernière marche.

Je marchais assez vite et j'ai eu à peine une seconde pour être attrapé par la vue d’elle et je n'aurais pu avoir l'indécence de ralentir ou de me retourner.

J’ai eu assez de temps, oh ! bien assez pour que tout me saute au regard jusqu’à l’âme et s'y grave.

 

Cette femme pleurait.

à pleine face, inondée, barbouillée, sans retenue. Tout le visage plissé dans l'affreuse contraction du chagrin.

A peine eu le temps de se cacher, renoncé à échapper aux regards, tant le chagrin urgeait.

 

Et tenant d'une main un litre de rouge, elle y buvait avidement comme quelqu’un qui  a traversé le désert (on tombe épuisé sur l'eau d'un oasis, sauvé !)

Cette bouteille était son seul vis-à-vis, seul témoin de son malheur total ; le gros rouge urgent médicament, vin de vigueur.

 

Il se déversait en elle, et les larmes sortaient d'elle à flots continus.

elle s'était en toute hâte assise sur une marche; ou effondrée ne pouvant faire un pas de plus, ce malheur dont personne ne savait rien l'avait frappée comme une brute.

Sur la deuxième marche à peine en dessous du sol, du trottoir plein de gens en marche, pour que le malheur règle lui-même son affaire.

 

Ni les amants illuminés de leur découverte, ni la femme sans âge qui gênait le passage du sous-sol, non, personne dans la foule qui allait, sinon moi personne ne les percevait.

 

 

 

 



13/10/2017
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