COSMOS Iconologie

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Saint Paul et le Cheval 4

3 - PARMESAN

 

 

Parmigianino, que nous avons visité à propos de son Cupidon taillant son arc, a peint une étrange Chute de Paul. Il y a bien un paysage, dans le lointain, dont le bleu-horizon est assez conventionnel. Mais il y a surtout, au-dessus de l'homme chu, un cheval plus gigantesque et plus somptueux que ceux de Caravage. Point du tout enclos dans le cadre, il a le paysage et le ciel entiers pour se déployer. Prodigieuse ruade qui emporte ses pattes de devant, et son encolure formidable, vers le haut, même hors-cadre.

 

 

04-Parmesan_Conversion St Paul   BD.jpg

 

 

L'anecdote veut que, si un cheval renverse à terre son cavalier, qui ne faisait plus corps avec lui, qui n'était pas son maître attitré, il ait fallu à peine une ruade, ou que l'homme ait eu un soubresaut, fait un faux mouvement en chassant une mouche, cogner une branche… D'autres peintres ont aussi bien le droit de montrer le cheval vautré à terre près d'un type qui arque le dos pour se relever.

Mais on est au-delà de l'anecdote, la chute durera toute la vie, Saint Paul ne se glorifiera plus de rien, "si ce n'est de mes infirmités" écrira-t-il.

 

L'homme à terre est fort beau, élégamment vêtu de tissus rouges, il n'a pas d'armure, juste une épée qui gît comme lui parmi les herbes fleuries. Il n'a laissé sur le cheval ni selle   ni étriers. Nullement aveuglé, il lève les yeux vers le ciel, où un faisceau de courts rayons paraît parmi les nuages sombres. Il n'a pas l'air de souffrir de sa chute. Le peintre, selon la manière caravagesque, a fait saillir en lumière les genoux, qui dénotent généralement la force d'aller, l'un repose au sol, l'autre replié se termine par un beau pied détaché du sol. En somme, aucun indice pictural qu'il s'agisse de la célèbre conversion de saint Paul !

 

 

04-Parmigianino_Chute de Paul -dét.paysage   BD.jpg

 

Le paysage, si on le regarde de plus près, ne se réduit pas à cette dentelle de montagnes bleues. Sur une vaste pente s'échelonne, de clarté en ombre presque noire, au moins une ville entière. Est-ce une Damas de fantaisie ? Plus bas, une bande d'arbres florissants, puis sur des terres claires, des chameaux et leurs guides, de paisibles fauves, et dans la  partie la plus proche du cavalier, un troupeau et son chien, blanc comme ses blancs moutons. Etranges morceaux de paradis, d'âge d'or.

Merveilleuse liberté du peintre maniériste, qui découpe son tableau en morceaux hétérogènes et savamment articulés. Ciel sombre menaçant, que la lueur, si importante dans le récit des Actes, arrive mal à trouer. Superbe cavalier sans rien de guerrier, à la pose superbe dans les plissés de la soie. Insolite paysage lointain, où s'étagent le minéral, l'humain, le végétal et l'animal, comme un résumé de toute la beauté du monde.

Tous ces éléments sont chargés de la signification introuvable que le peintre, souverain absolu de sa représentation, a choisie selon sa pure pensée, bien loin du texte sacré qu'il est censé illustrer.

 

Pourquoi cheval immense, occupant tout le tableau, occupant surtout notre champ visuel et notre attention ? Il a l'air d'être sorti de l'homme, comme le Djinn de la petite lampe d'Aladdin. Figure-t-il sa nouvelle âme de converti qui va évangéliser ville sur ville avec intrépidité? Figure-t-il au contraire sa vielle libido (le vieil homme) qui s'enfuit de lui pour de bon, tandis que l'homme tout petit, comme fécondé d'une graine divine, s'apprête à déployer une pensée théologique considérable et une audace de guerrier dans son action ? Est-il, comme Jésus, à la fois terrestre et céleste ?

 

Ici encore je sens un mouvement poétique qui saisit le peintre, à l'idée seule d'un cheval. Dans la dualité qui éclate entre le cavalier et la monture, et qui correspond à une véritable catastrophe, un retournement plus qu'un tournant dans la vie de ce cavalier-là Saoul, le peintre a senti que, sur le corps à terre de l'homme, il n'y avait pas à dire grand-chose, et que l'essentiel était dans la figuration sublime du cheval. 

 

 

04-Parmesan_Cheval  BD.jpg

 

 

A la somptuosité de sa robe grise, que la lumière module du blanc au presque noir, s'ajoute celle d'un manteau fleurdelisé, dont le tissu frissonne au vent, et sur lequel la grande longe qu'aucune main n'a pu retenir déroule de fines sinuosités. C'est peu de dire que la bête a échappé à son maître : grâce à la chute le cheval a pris toute son ampleur, c'est lui qui est maintenant l'être libre, superbe, souverain.

On peut l'interpréter comme l'âme nouvelle ou la pensée nouvelle de ce Saoul qui devient Saint Paul.

 

 

04-Parmigianino_Chute de Paul -dét. tête cheval   BD.jpg

 

 

RUBENS

 

 

Je ne peux qu'en rapprocher celui que Rubens peignit d'une fulgurante beauté sous le cavalier commanditaire,, en l'occurrence duc de Lerma. Cheval d'argent, poitrail d'une autre peau que celle des chevaux vivants connus, des chevaux domestiqués par l'homme. La queue à elle seule, peinte en contre-jour : elle a une  bordure de flammèches, elle réverbère les éclairs ambigus qui se glissent derrière le paysage.

 

16-Rubens_1606 _Giancarlo Doria  BD.jpg

 

Regard  de ce cheval, ses cheveux plus beaux que ceux d'une femme, ses narines prodigieuses.  Les yeux du cheval vingt dieux ! Regard venu de plus loin, regard plus intense,  eau plus mystérieuse que les yeux du cavalier. Plus grande ambiguïté entre anima et animal.  Dans le groupe équestre, le cheval contient tout ce que le cavalier ne peut détenir en fait de  "contenu psychique". Le cheval ne lui fournit pas seulement une altitude, une endurance, une vélocité  qu'il n'a pas dans son corps - dont il n'a que l'intention, dont il a acquis le gouvernement. Le cheval, son cheval, venu  d'un autre monde, détenant une âme toute de cheval, est pourtant (devenu) l'adepte de ses promenades, de ses assauts. Les rêveries du cheval sont complices de celles du cavalier.  

 

Dans ce vaste poitrail clos, comme en un coffre-fort d'argent, est enclos le trésor de ses songes,  de ses aspirations. Ce poitrail est le réservoir énorme de l'être automobile. Il est digne, ce cheval, de figurer figé dans le départ du bond, absolument instable, miraculeusement debout. La verticalité tranquille de l'homme qui le monte n'est que l'expression de ce  debout profond du cheval.

 

Rubens_GianCarlo_16-Doria (Palazzo_Spinola_Genova) - Les deux regards  BD.jpg

 

 

J'ai connu une étudiante belge qui pendant cinq heures de route m'a parlé des chevaux  - elle allait à la fac à cheval ! J'ai vu Bartabas sur un cheval blanc qui dansait tout seul pendant que Alexandre Tharaud jouait Bach. Je devinais seulement que le cheval peut être aussi ou plus intéressant que l'homme, même celui qui le monte. Parmigianino en est convaincu !

 

 

 

Saint Paul et le Cheval 5



21/09/2017
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