COSMOS Iconologie

COSMOS Iconologie

Marie, mère et épouse de Dieu

Marie montée au ciel

 

La fête de la Dormition fut longtemps célébrée dans les églises d’orient, puis en occident, où elle devint l’Assomption ; on multiplia donc ce culte, ainsi que les peintures montrant une jeune femme (elle avait retrouvé ses trente ans !) qui s’élevait toute seule, en apesanteur. On lui faisait volontiers un petit coussin volant avec des têtes d'angelots pressées les unes contre les autres, imitant les flocons d'un nuage…

Les visions d’une nonne Elisabeth de Schönau, au XII° siècle, fixèrent l’image de Marie montant au ciel par ses propres forces (et non soutenue, comme on le verra dans maints tableaux, par des petits ballons en forme d’angelots) dans sa plénitude, corps et âme en pleine conscience.

 

Le peintre et théoricien espagnol Pacheco  précisait :

 

Il faut peindre cette montée de la Vierge au ciel, entourée d’anges qui paraissent l’aider à élever son corps, non pas qu’elle s’élevât de par la vertu des anges ni que leur présence fût nécessaire  - un corps glorieux de par sa vertu et ses dons peut le faire -  mais pour donner à entendre que ces divins esprits l’accompagnent dans sa montée aux cieux avec la pompe et la gloire dues à sa majesté et avec lesquelles elle fut reçue dans le ciel par la sainte Trinité.

La conséquence de l'assomption est que Marie fut illico reçue par la divinité et couronnée. Couronnement qui la fait participer de la royauté essentielle de Dieu.

 

Si l’on s’en tenait aux quatre évangiles dits canoniques, les dévots n’auraient pas de choses bien intéressantes à figurer ; il fallut donc d’abord que l’on mît au début du livre de Saint Luc le conte merveilleux et terrible, les 'Enfances Jésus' comme on disait au moyen âge. Cela fournit l’Annonciation, Noël, les Mages, le Massacre des Innocents, la Fuite en Egypte - à laquelle d’autres apportèrent différents épisodes comme le Repos de la Sainte Famille. Tout le reste, plus ou moins rédigé dans des évangiles dits apocryphes, nourrit l’imagination et la piété populaire. Mais ce sont surtout ces épisodes mystiques que je viens d’énumérer, qui donnèrent à Marie la formidable importance qu’elle a dans l’Eglise catholique et dans l’orthodoxe, et qui fut rejetée par les protestants, qui voyaient une forme d’idolâtrie dans cette divinisation d’une terrienne. Lorsque des papes promulguèrent en dogmes (vérités révélées, de croyance obligatoire) l’Immaculée Conception ou l’Assomption, ils se référèrent ouvertement à des siècles de piété, aux fêtes installées, à la dévotion centenaire des peuples.

 

Le même Pacheco, qui témoignera du bon goût et de la croyance au 17° siècle, peut nous mettre sur une autre piste. « On peut la peindre, comme l’a dit le Père Ribadeneira, debout sur une nuée resplendissante, tenant la main droite de son Fils, la main gauche de la Vierge étant sur l’épaule droite du Christ… » C’était fait depuis longtemps !


 

 

La déesse parèdre

 

Il faut aller à Rome, à la basilique "Santa Maria in Trastevere". L'abside est occupée par une rutilante mosaïque datant au plus tard de 1148.

 

 

 Santa Maria in Trastevere mosaique  BD.jpg

 

 

 

Si cela représentait, comme le prétend l'Eglise, Jésus qui couronne sa mère, cela ferait partie de l’iconographie habituelle, illustrée notamment par Fra Angelico. Sauf que ce peintre vivra trois cents ans plus tard !

En interprétant la mosaïque de cette façon, les bons pères veulent masquer quelque chose d'important, et qui gêne la théologie…

 

Il faut regarder au-dessus de la scène : dans un demi-cercle figurant le Ciel, la main (de Dieu le père) tend une couronne végétale (laurier) et non, comme d’habitude, une couronne métallique. Cette main sort d’une sorte de bouche, qui pourrait signifier le Saint Esprit, « qui a parlé par les prophètes ».

 

 

 

Au fait, Jésus est-il en train de la couronner ?

Entre deux petits groupes de saints, Jésus et sa mère sont assis côte à côte sur une sorte de trône à deux places. Derrière eux, en guise de dossier, un rideau blanc. Jésus est habillé en toge et chaussé de sandales ; il porte l’auréole crucifère. Marie, à sa droite, habillée en impératrice, porte la couronne d’or et de pierres. Ces détails nous réfèrent aux mosaïques royales byzantines.

 

 

trastevere_le couple seul.jpg

 

Ainsi l'impératrice Théodora :

 

 

Theodora et sa couronne  BD.jpg

 

 

Pour faire la différence, sans quitter Rome, voyons la mosaïque de Sainte Marie Majeure, qui date de 1295. Pas de doute ici, c'est bien le couronnement.

 

sainte-marie-majeure_abside 1295.jpg

 

 

Revenons au Trastevere. Le couronnement est donc déjà fait, et la main de Dieu, du reste placée exactement au-dessus de la tête du Fils, semble couronner le tout, Mère et Fils.

C'est-à-dire cet homme qui a assis la reine-mère à sa droite sur le trône impérial. E>n somme, on reprend la vieille croyance dans le couple divin, un dieu et une déesse parèdre - ce qui signifie "assise à côté". Jusqu'à la réforme de Josias, les Hébreux avaient bien mis dans leurs chapelles Ashéra à côté de Yahweh.

 

Tous deux nous font face, mais Jésus a passé le bras droit sur l’épaule de sa Mère. Geste d'affection dans l'égalité. Celle-ci tient un parchemin en bas avec sa main droite, et en haut par deux doigts seulement, ce qui lui donne le geste bien connu de bénir.

 

Or qu’y a-t-il écrit sur ce parchemin ?

 

LEVA EIVS SVB CAPITE MEO ET DEXTERA ILLIVS AMPLEXABITUR ME

 

C’est un verset du Cantique des Cantiques : « Sa main gauche est sous ma tête et sa droite m’enlace ».  Dans sa version latine, ce verset érotique est utilisé dans la liturgie pour exprimer l’union d’une âme avec Dieu.

 

Jésus n’est pas en reste et montre, ouvert dans sa main libre, un livre où on lit :

 

VENI ELECTA MEA ET PONAM IN TE THRONVM MEVM

 

Si ce verset existe bien dans le Cantique, sa version latine provient certainement d’une erreur de traduction de l’original. Peu importe, c'est la traduction latine de la Bible par Saint Jérôme qui fait foi. Notre texte latin donc signifie : « Viens, ma choisie, et je placerai en toi mon trône. »  Ce qui n’est qu’à moitié énigmatique, si l’on considère que le ventre maternel fut, pour le dieu incarné, le siège ou le trône. Donc Jésus ne se contente pas d’avoir fait asseoir Marie à sa droite; son véritable trône, il est dans Marie, dans sa choisie, sa chérie, qu’il tient par l’épaule.

Tout cela suggère non pas le couronnement de Marie, mais son mariage avec son dieu-fils, qui l’a assise à sa droite comme une déesse parèdre. On notera que le Saint Esprit n’est pas figuré (colombe) et que la Trinité divine semble se composer du Père (invisible), du Fils et de l’Elue Marie.

 

Sous la scène un long bandeau semi-circulaire porte en lettres d’or deux lignes en latin :  

 

FVLGIDA MATER HONORIS CVM RVTILAT FVLGOR DECORIS

Resplendissante la mère de l’honneur tandis que rutile l’éclair de sa gloire

 

IN QVA CRISTE SEDES MANET VLTRA SECVLA SEDES [1]

celle en qui, ô Christ, tu sièges, le trône demeure au-delà des siècles

 

DIGNA TVIS DEXTRIS [2] EST QVAM TEGIT AVREA VESTIS

Elle est digne de ta droite celle que couvre un habit d’or

 

[1] Jeu de mots sur Sedes. Qui signifie d’une part « tu sièges » et d’autre part « le siège ».

[2] Dextris ,littéralement : à mes droites. Ce pluriel de solennité s’emploie dans un contexte solennel. On se rappelle le psaume : Dixit Dominus domino meo : sede a dextris meis ; donc : siège à  ma droite.

 

La deuxième ligne, en somme, approuve ce que Jésus énonce dans le livre qu’il tient, le mot  Siège remplaçant le mot Trône.

La troisième ligne signale par ses habits d’or la bénéficiaire, telle qu’on la voit dans l’image.

 

Plus bas, autre inscription :

 

CUM MOLES RVITVRA VETUS FORET HINC ORIVNDVS

INNOCENTIVS HANC RENOVAVIT PAPA SECVNDVS

 

Trad. de Barbet de Jouy :

L'antique masse était prête à s'écrouler ; originaire d'ici,

Le Pape Innocent II l'a renouvelée.

Ce dernier distique donne donc la signature de celui qui a construit ce palais, et qui selon toute vraisemblance en a fait le projet détaillé : le pape Innocent II. Une fois débarrassé de son antipape Anaclet, comme il était riche de grandes propriétés sur le Trastevere, il releva (renovavit)  à ses frais une église qui datait de la première moitié du IV° siècle, qui avait été maintes fois agrandie et embellie, mais qu'on avait négligé d'entretenir pendant trois siècles.

 

Barbet fait sur l’image deux remarques intéressantes :

"Le nimbe du Christ est crucifère et gemmé, la Mère de Dieu est nimbée." (suit une série de précisions de ce genre sur les autres personnages de la mosaïque).

"Le Christ, dont la droite est posée sur l'épaule de sa mère, ne bénit pas; mais à la place où les yeux de l'observateur cherchent la main qui bénit, il y rencontre celle de la Mère de Dieu, dont l'index et le médium sont droits et les deux derniers doigts repliés, conformément au mode de bénir de l'Eglise moderne."

 

J'ajouterai que ces deux doigts repliés sont utilisés habilement pour tenir le haut du parchemin. En tous cas cette "droite" qui enlaçait l'épouse du Cantique est ici occupée à serrer amoureusement l'épaule de la reine. Le texte de l'inscription affirme qu'elle est bien digne de cette main droite.

 

L'artiste a suppléé à cette main indisponible et c'est Marie qui bénit, privilège divin.

 

 

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Place de Marie vis-à-vis du dieu trinité

 

Nous voici donc en présence d’un dieu, Jésus, avec sa déesse parèdre, Marie. Ainsi, sans que les autorités ecclésiastiques aient trouvé à y redire, un mosaïste du XII° siècle a renoué avec le culte de Yahvé et Ashéra, et de maints pharaons qui épousaient leur sœur etc. Les théologiens s’étaient fourrés dans un guêpier. On a tenté de donner une justification à cette hérésie picturale : on dit que la femme ici présentée est l’Eglise, puisqu’on avait déjà dit la même chose de l’Epouse ou de la Bien-aimée du Cantique des cantiques.

 

Marie, cette personne sur qui les Evangiles étaient si discrets, et que les Actes des apôtres ne mentionnent pas, qui n’aurait rien fait d’autre que de faire naître le sauveur et de se tenir debout au pied de la croix, puis elle eut droit à une petite apparition du ressuscité et fut sans doute présente à la Pentecôte. Mais là s’arrête l’intérêt des quatre évangiles et des autres livres reconnus par l’Eglise.

Or cette Marie fut déclarée Théotokos, Mère de Dieu, par le Concile d’Ephèse en 431.

Il faut d’abord comprendre que cette mère a été fécondée par le dieu du christianisme, c'est-à-dire la Trinité. Un dieu trine en une seule entité, cela entraîne que les actes de chaque « personne » de la trinité chrétienne engagent cette trinité tout entière. Ainsi le proclama le 4° Concile de Latran en 1215.

Marie fut donc fécondée par la Trinité entière. Elle fut donc fécondée par le Fils, son fils, Jésus qui naquit d’un inceste divin, vous me suivez ? Et Marie devenait du coup la Mère de la Trinité entière. Cela peut paraître le comble de l’absurdité... mais Marie, après tout,  prenait la place des antiques "Mères des Dieux" si vénérées, sous les noms de Cybèle ou Isis par exemple.

Pourtant elle n’avait pas été engendrée de toute éternité. C’était totalement une femelle de l’espèce humaine. Il fallait compenser cette insoutenable infériorité. Au VII° siècle, lorsque l’empereur Maurice institua en Orient la fête du 15 août pour commémorer le décès de Marie, on appelait déjà celui-ci « la Dormition », comme si elle n’était pas vraiment morte. Au X° siècle, en occident, l’on traduisit un auteur dit Méliton, prétendûment du II° siècle. Selon lui, Marie n’avait fait qu’une petite visite à la mort, le temps qu’on la pleure, puis elle était montée au ciel, corps et âme. Ayant été mère du Sauveur et ayant vécu toute sa vie dans la pureté, il n’était pas question qu’elle redevînt poussière comme le commun des mortels.

La fête de la Dormition deviendra dans l’église d’occident celle de l’Assomption. Le pape Nicolas au IX° siècle, plaça cette fête au même rang que Noël et Pâques, ce qui équivalait à déclarer la translation de Marie au Ciel aussi importante que l’Incarnation ou la Résurrection du dieu sauveur.

 

Là où elle montait, que pouvait-il lui arriver de plus ? De recevoir sa couronne de Mère du Ciel, ou d’Epouse de la Trinité, ou d’épouse de son fils, ou de Mère de la Trinité, de toute façon faisant désormais partie de la famille. (Il est vrai que ça manquait de femme, là haut !)

La dévotion générale invoque sans hésiter dominus et domina, notre seigneur et notre dame. On ne peut pas être plus clair.

 

 

Nous voici pourtant placés devant une évidence, que l'iconographie exalte plus que tous les textes : la féminité a fait son retour dans une conception purement virile de la divinité. La dévotion va pendant des siècles honorer la Vierge... de préférence à Jésus lui-même. Elle sera invoquée comme reine des hommes, reine du ciel, reine des anges, reine de telle ou telle patrie… Tant est grand le besoin d'avoir une merveilleuse étoile, belle, douce, une star dont on n'a pas figé les traits par la photo d'une actrice ou d'un mannequin !

 

Il ne faut pas cependant considérer le titre de Mère de Dieu comme une pure et simple absurdité, ni une hérésie. Elle ne fait pas problème pour le bon peuple. Rappelons-nous que des millions d’Ave Maria ont été récités au cours des siècles, notamment dans la dévotion du chapelet, et qu’on y récite imperturbablement « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs… »

Si on veut réfléchir, on comprend sans doute : "Mère d’un dieu". C’est déjà très flatteur, et surtout cela donne à Marie un statut divin. Pourtant on ne lui demande que de demander, on la prie de prier. La figure est d’une intercesseuse, bien placée et sûrement bien écoutée de la divinité. Il suffit que l’Ave Maria fasse précéder cette supplique des paroles même de l’Ange Gabriel. Notamment « le fruit de vos entrailles ».

Dans l'esprit du public, l'image d'une reine-mère particulièrement bien placée pour influer sur les décisions de son fils était très satisfaisante.

 

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20/02/2015
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