COSMOS Iconologie

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Si mes vers avaient des ailes

 

 

 

Le ver de terre dans la terre éprouve une grande lassitude. D'avaler transiter déféquer de la terre, se faire son chemin dans l'obscur. Trouver de temps à autre un bout de radicelle une graine en voie de pourrissement. Bien sûr c'est noble de ne pas mendier sa vie comme un cul de jatte sans bras. Mais en somme il est quand même un chiffonnier de l'humus. Pas humilié, seulement fatigué. Alors il ordonne à sa machinerie d'amorcer un virage vers ce qu'il sent (par ses inimitables sens) être le haut. Et va que je te ronge et encore, et là il se sent une certaine énergie. Arrive à ras, pointe le museau, roule anneau sur anneau, émerge  - comme les nus quand a sonné la résurrection de la chair.

 

Personne ne le voit allongé d'un empan parmi une forêt de chaumes et de chiendents. Il est au lieu où menacent les godillots, les dents des rongeurs. Mais il veut prendre en mains sa mort, qui peut-être viendra de l'invisible chaleur et de l'air irrespirable, qui fait hurler nos nouveau-nés. Il est secoué d'un grand spasme comme un chat écrasé, puis retombe un peu plus loin, mol et raide comme un bâton.

 

Et je pense à vous magiciens fileurs, plus réels que les trois Parques qui filent nos destinées : araignée et bombyx que les humains considèrent à leur gré comme nuisible ou utile.

 

Arachné l'araignée, que le poète des Métamorphoses déclarait plus habile au tissage que la déesse qui enseigna aux femmes l'art du fuseau, belle fille en bête transformée par la colère divine - car les dieux étaient souvent jaloux des performances humaines- tu tires de ton menu ventre même un fil interminable et le tisses en un gluant piège à moucherons.

 

Tu accroches le fil à quelque poutrelle puis le dévidant tu y es suspendue  - et si tu es petite, un vent  t'arrache avec lui et tu planes sous le nom de fil de la vierge. Tu te balances et joins un autre point d'accrochage, puis remontant à pieds jusqu'au point de départ, tu produis un nouveau rayon, ou sans remonter jusqu'en haut tu t'élances au bout de ton fil pour une trame perpendiculaire. Un long patient parcours et ton ventre inépuisable aboutissent à cette figure rayonnante, presque géométrique, qui brille au soleil couchant ou lorsqu'il se pare de rosée, forme que le cerveau minuscule de ta race possède à l'avance comme une idée platonicienne.

 

Mais il faut bien vivre et la nature est prédatrice, alors tu te planques en un coin, recroquevillée, et tu attends la menue inaudible vibration de corde lorsqu'un moucheron pris au piège se débat; lors courant avec certitude sur le fil, tu te vas emparer de l'insecte et l'empaquettes de fil pour qu'il reste vivant à ta portée quand tu voudras te nourrir.

 

Bombyx, ver qui te sais destiné à devenir volant un jour, comme aussi bien la ravissante chenille du papillon Machaon, un jour comme tous les papillons, même si le tien futur nous semble grisâtre et sans attrait, voici. Ta bouche dévidant un fil robuste et durcissant à l'air, d'une merveilleuse finesse, tu te contorsionnes pendant une heure ou deux dans toutes les inflexions sous la torture en tissant le piège autour de toi-même. Quand le cocon sera, solide abri sans faille, ton corps épuisé sera réduit de neuf dixièmes, il attendra; par le miracle des cellules embryonnaires, le peu qui reste de ton corps premier va croître en deux ou quatre ailes, articulées au mince fuseau palpitant. Ainsi va le projet fastueux dont ta race possède l'idée et la forme, jusqu'au jour où te sentant achevé tu briseras la coque trop étroite, et né à l'air libre tu défroisses tes ailes poudreuses et sitôt prends ton envol zigzagant vers les fleurs.

 

Mais si tu es bombyx l'homme tranche ta destinée, plonge le merveilleux cocon dans l'eau bouillante, patiemment le dévide, le tresse à d'autres, se fabrique la soie; l'homme le même qui vole aux abeilles dans leurs alvéoles hexagonales le suc nourricier des larves à venir.

 

 

 

chenille 1.jpg

 

 

O très petits fragiles, vous tenez votre revanche un beau jour dans le crâne de l'homme mort, comme le dit le poète : "La larve file où se coulaient les pleurs".

 

 

 

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18/01/2017
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